Baltasar Porcel
Olympia à Majorque
“Alors, dans l’après-midi ensoleillé de juin qui dorait la
Méditerranée tout entière, au cœur de l’île qui ne battait que pour le
cercle immobile de sa sérénité ritualisée, Marika Olivara de Torrent,
grande et altière, un léger tremblement fugace dans sa voix mélodieuse,
expliqua au téléphone à Sinibald Rotger :
—Je ne pourrai pas venir te rejoindre à Sant Telm demain, je regrette
terriblement, mon amour. Mais une très grande amie vient tout juste de
me prévenir de son arrivée, elle est islandaise, je ne l’ai pas vue
depuis très longtemps, plus de trente ans! Je suis si contente, tu
sais! Elle vient à Majorque pour nos retrouvailles. Oh, ça va être
tellement bien, oh, de se rappeler ces deus jeunes filles pleines
d’illusions que nous étions! Oh, sa voix timide et affectueuse au
téléphone!
Sinibald Rotger, mal rasé et avec des poches sous les yeux, une
cigarette aux lèvres et la voix épaissie par l’enrouement comme si elle
avait charrié des cailloux, se trouvait – le combiné à la main lui
aussi – derrière le comptoir d’une petite boutique qui vendait des
objets en céramique vulgaires, des bikinis aux couleurs criardes, des
appareils photo jetables, des sombreros mexicains en paille, d’immenses
lunettes en plastique de contrefaçon, des calendriers avec des femmes
nues aux formes impressionnantes, des tableaux maniérés de paysages
majorquins avec des amandiers en fleur tout blancs et des criques aux
eaux vertes, des figurines qui représentaient des rhinocéros
galactiques armés de lance-roquettes et des flacons d’eau de Cologne à
la lourde fragrance orientale.
La boutique, Miami Beach, était située en plein centre de Port de
Pollença l’un des foyers estivaux de l’autre cœur insulaire, celui de
la multitude frénétique de touristes qui saturaient à l’ouest et à
l’est Majorque, fière de se considérer comme un indéniable paradis
terrestre à l’activité cosmopolite et nonchalante.
Traduït per Traduction de Marianne Million
Baltasar Porcel, Olympia à Majorque
. PORCEL, Baltasar. Olympia à Majorque. Traduction de Marianne Million. Arles: Actes Sud, 2007.