Josep M. Benet i Jornet
Fugaces
Deuxième acte
FILLE. – Tu l’as reconnu. Ne reviens pas tout de suite. Je veux parler, maintenant, oui, et je veux que tu m’entendes, mais je ne veux pas te voir pendant que je parle. Tu m’as raconté un vieux souvenir, un vrai souvenir, authentique. Maintenant moi, je veux te raconter quelque chose du temps à venir, un souvenir du futur.
Nous ne pouvons pas savoir ce qui arrivera, dans quelque temps, et sûrement rien n’arrivera de ce que je vais te dire. Je te raconterai un mensonge. Ne sors pas, attends. Jusqu’à ce que j’aie fini, prends patience et attends. Un souvenir spécial, maman sera morte, imaginons-le. Ne bouge pas. Tu ne bougeras pas, tu entends ? Oui maman est morte… Je ne veux pas qu’elle meure. Si elle était morte, nous pleurerions. Nous nous trouverions trop seuls. Nous achèterions, nous achèterons une branche d’œillets, et nous la poserons sur son cercueil.
Ça ne servira à rien, ce sera un geste inutile. Alors, je te demanderai qu’on l’incinère et tu diras oui, tu diras c’est comme je veux, et nous l’incinérerons et de cette façon son corps passera de la douceur accueillante à une poignée de cendres et de poussière, dispensé de la honte de la pourriture. Nous répandrons les cendres sur la mer c’est là qu’on les répand quand on ne sait qu’en faire et qu’on n’a pas d’idée plus originale. Nous les répandrons sur la mer la nuit, peut-être, une nuit mélancolique parce que nous nous sentirons mélancoliques. Une nuit, par exemple, comme celle-ci. Après… Après, tu n’iras avec aucune autre femme. Tu garderas le souvenir de la mère, tu seras un veuf éternellement fidèle. Les gens diront cet homme exagère. Quelques-uns en riront, dans ton dos, et d’autres, en revanche, admireront la fermeté de ta décision. Je ne partirai pas. Je m’occuperai de toi. Pour toujours. Une fille sacrifiée, qui gâchera sa vie d’une façon absurde, d’une manière insensée. (temps)
Je m’occuperai de toi, tu t’occuperas de moi, et il n’y aura pas dans le monde entier deux amants aussi heureux que nous. (temps) J’ai fini.
Traducido por Michel Azama
Josep M. Benet i Jornet, Fugaces. París: Éditions Théâtrales, 1994, p. 115.