Als fats coman tot…

Ausiàs March
Ausiàs March

Je confie à mon sort tout mon sort à venir,
Car je suis impuissant pour toute décision.
Que Dieu n’absolve pas mon bon sens déjà mort
Puisque je suis fautif dès mon commencement.
Il est beaucoup trop tard pour freiner mes instincts,
Ma bonne volonté est par trop maladive,
Je vais, contre mon gré, où je ne voudrais pas
Et je suis mécontent de toutes mes actions.
Me voici maintenant comme un paralytique
Qui n’est pas assez fort, lorsqu’on le met debout,
Pour marcher comme il faut ni marcher jusqu’au bout,
Mais tombe à chaque instant et trébuche en arrière:
C’est ainsi que je fais ce que je ne veux pas ;
La dictée de mes sens étouffe ma raison ;
Si je veux l’écouter mon plaisir disparaît
Et tout ce que je fais je le fais sans envie.
Ainsi que le vaisseau laissé, au gré du vent
Pendant que les marins sont en discussion,
Poursuit, seul, son chemin imperceptiblement
Et se penche, à la fin, faute de direction,
Ainsi fais-je pour vivre, et mon entendement
Dispute sans repos avec mon propre corps:
Je n’ose pas, hélas, préciser leur débat ;
Contre vent et marée poursuis mon appétit.
Il est bien révolu le temps où je vivais
Satisfait de l’amour, malgré toutes mes peines.
Dans ce tout mélangé d’âpreté et douceur
Je croyais être roi : j’étais son serviteur.
Je savourais son mal sans prendre son bienfait
Quoiqu’il n’y ait malheur qui soit exempt de joie.
C’est plus que de mourir ce que pour lui j’endure :
Il vit trop agité celui qui vit sans frein.
Toi qui me fais subir ton pouvoir, ô Amour
Dont la férocité dépasse mon courage,
Exile-toi de moi. Je n’ai aucun plaisir
Dans l’exécution de tes commandements.
Montre au moins contre moi l’orgueil qui te convient :
Abandonne un vassal qui ne te dit pas « Maître ».
Quel élan imprévu, plus haut que ma douleur,
Fait que je suis si fier de mon propre bourreau ?
Cette façon d’agir ne mène à rien de bon.
Je suis présentement de tristesse envahi,
Qui me vient, Tristesse, de mon mal à venir,
Et se dresse, déjà, devant mes propres yeux.
Je pourrais l’endurer si, dans son cœur veillant
Celle que j’aime veut, pour moi, la supporter
Sans jamais repentir – pour qu’il y ait mérite.
La mort ne viendrait pas dépourvue de plaisir.
Lys entre les chardons : immense est mon plaisir
Si je ne pense pas ce que vous pourriez faire.
Tout acte est rapproché de sa propre puissance
Lorsque la volonté s’accouple à l’appétit.

Homenatge europeu a Ausiàs March. Gandia: CEIC Alfons el Vell, 1996.

Traduït per Josep Palau i Fabre