La gran dolor que llengua no pot dir

Ausiàs March
Ausiàs March
La douleur sans espoir, que nul ne peut conter,
De celui qui est mort et ignore sa fin :
Il ignore si Dieu avec lui le prendra
Ou bien si dans l’Enfer il voudra le plonger.
Une douleur ainsi dévaste mon esprit,
Ne sachant pas l’endroit où Dieu vous a placée.
Au ciel ou en Enfer ma sentence est dictée :
L’endroit où vous irez est l’endroit qui m’est dû.
Et toi, ô cher Esprit, toi qui as partagé
La vie avec ce Corps que moi j’ai tant aimé,
Regarde-moi un peu : ma passion est si folle
Que je perds devant toi l’envie de raisonner.
Ta demeure à jamais dira ou changera
Le sens de tous les mots que je veux t’adresser.
De tristesse ou de joie sera ma destinée :
La volonté de Dieu en toi est enfermée.
Si je prie, c’est en vain que je joins les deux mains :
Car tout est consommé pour elle – donc pour moi.
Et si elle est aux Cieux, comment dire ma joie ?
Si elle est en Enfer ma prière est folie.
Dans ce cas, ô Seigneur, annule mon esprit
Et que mon être soit rejeté au néant :
Mais que je n’en sois pas tellement attristé
Si elle s’est damnée à cause de m’aimer.
Tout ce que je redis je l’ai dit mille fois.
Que je me taise ou crie je reste insatisfait.
Si je pense ou je vais mon temps est temps perdu.
De tout ce que je fais d’avance me repens.
Je ne crains pas le mal de mon bonheur passé,
Car je crains trop le mal inscrit dans l’avenir.
Mais tout mal est petit s’il n’est pas éternel,
Et moi j’ai peur d’avoir mérité celui-ci.
Le mal quotidien est plus que redouté,
Mais il s’apaise un peu lorsqu’il devient commun.
Ô toi, ô ma Douleur, tiens-moi bien éveillé,
Agis contre l’oubli et sois mon éperon.
Attache bien mon cœur, arrache tous mes sens :
Rassasie-toi de moi, car je m’offre tout nu.
Accable-moi de maux, tant, qu’on en ait pitié.
Autant que tu le peux élargis ton pouvoir.
Et toi, ô cher Esprit, si rien ne t’en défend,
Romps avec cette loi commune à tous les morts
Et reviens parmi nous, pour m’informer de toi :
Tu sais que ton regard ne peut pas m’effrayer !

Homenatge europeu a Ausiàs March. Gandia: CEIC Alfons el Vell, 1996.

Traduït per Josep Palau i Fabre